C’est en 1935 que Maria Montessori rĂ©dige L’enfant. Loin de s’enfermer dans un discours scientifique qui perdrait son lectorat, cette pĂ©dagogue exceptionnelle nous fait part de sa vision de l’Ă©ducation et surtout de son regard sur l’enfant. TeintĂ© d’une certaine innocence, rempli d’enthousiasme, et frĂ´lant parfois une certaine extase religieuse, ce livre se lit presque comme un recueil de poĂ©sie d’Emily Dickinson.
Un autre regard sur l’enfant
Dans une première partie intitulĂ©e « La question sociale de l’enfant« , Maria Montessori nous propose un autre regard sur l’enfant, cet enfant que nous ne connaissons pas, que nous ignorons, que nous ne prenons pas le temps de considĂ©rer. Or,
 » toucher Ă l’enfant, c’est toucher au point le plus sensible d’un tout qui a des racines dans le passĂ© le plus lointain et qui se dirige vers l’infini de l’avenir. Toucher Ă l’enfant, c’est toucher au point dĂ©licat et vital oĂą tout peut encore se dĂ©cider, oĂą tout peut encore se rĂ©nover, oĂą tout est ardent de vie, oĂą sont enfermer les secrets de l’âme, parce que c’est lĂ que s’Ă©labore la crĂ©ation de l’homme » (p.16).
Il est donc important de revenir incessamment sur ce que nous pensons savoir au sujet de l’enfant, de reconsidĂ©rer son accueil au monde, de nous adapter Ă son univers, de l’Ă©couter, de l’encourager Ă devenir, car
« l’enfant accomplit l’immense effort de faire le premier pas : celui qui va du nĂ©ant aux origines. Il est si près des sources de la vie, qu’il agit pour agir. C’est ainsi que s’exĂ©cute le plan de la crĂ©ation, dont nous n’avons ni connaissance ni souvenir » (p.55).
L’enfant ne peut ĂŞtre considĂ©rĂ© ni comme un adulte, ni comme un ĂŞtre dĂ©nuĂ© de vie intĂ©rieure, ni mĂŞme comme un ĂŞtre pervers qui soumet l’adulte Ă tous ses caprices,
« ses besoins ne sont pas ceux d’un infirme, mais de quelqu’un qui fait un inconcevable effort d’adaptation, accompagnĂ© des premières impressions psychiques d’un ĂŞtre qui vient du nĂ©ant, mais qui est sensible » (p.21).
Le nouveau-nĂ© est un « embryon spirituel » qui cherche continuellement Ă s’incarner,
« l’incarnation est le processus mystĂ©rieux d’une Ă©nergie qui animera le corps inerte du nouveau-nĂ© et qui donnera au corps l’usage de ses membres, aux organes l’articulation de la parole et le pouvoir d’agir selon sa volontĂ© ; ainsi, l’homme sera incarné » (p.26).
Ce mĂ©canisme est propre au nouveau-nĂ© et n’appartient qu’Ă lui-seul,
« ce travail, Ă travers lequel se forme la personnalitĂ© humaine, est l’oeuvre occulte de l’incarnation. […] Il faut qu’il s’incarne Ă l’aide de sa propre volonté » (p.28).
Or l’adulte pense Ă tort que c’est grâce Ă lui que le nouveau-nĂ© puis l’enfant, Ă©voluent, grandissent, deviennent grâce Ă lui, que seul le milieux ambiant influence son devenir, il s’en fait
« un devoir et une responsabilitĂ©. […] L’adulte s’est attribuĂ© un pouvoir presque divin: il a fini par se croire le Dieu de l’enfant ; il a pensĂ© de lui-mĂŞme ce qui est dit dans la Genèse : « J’ai créé l’homme Ă mon image et Ă ma ressemblance. » » (p.29).
L’enfant acquiert des savoirs, aiguise ses perceptions au court de pĂ©riodes sensibles. L’enfant va sans cesse ressentir le dĂ©sir impĂ©rieux de se dĂ©passer, de faire des expĂ©riences, de vivre pleinement des sensations nouvelles et
« ce drame intĂ©rieur de l’enfant est un drame d’amour : c’est l’unique et grande rĂ©alitĂ© qui se passe dans les rĂ©gions occultes de l’âme ; c’est l’unique et grande rĂ©alitĂ© qui, par moments, la remplit tout entière. De telles activitĂ©s merveilleuses ne passent pas sans avoir laissĂ© des signes indĂ©lĂ©biles ; elles laissent l’homme plus grand, lui donnent les caractères supĂ©rieurs qui l’accompagneront toute sa vie ; mais elles s’accomplissent dans l’humilitĂ© du silence » (p.39).
Ces périodes sensibles ne se vivent pas sans heurts ni obstacles et vont générer ce que les adultes nomment communément des caprices qui sont en réalité
« l’expression d’une perturbation intĂ©rieure, d’un besoin insatisfait, Ă l’Ă©tat aigu » (p.40).
Il est important et nĂ©cessaire alors Ă travers l’Ă©ducation de comprendre ces manifestations capricieuses, car
« cela constitue pour nous un guide pour pĂ©nĂ©trer dans les recoins mystĂ©rieux de l’âme de l’enfant, et pour prĂ©parer une pĂ©riode de comprĂ©hension et de paix dans nos rapports avec lui » (p.36).
Ce qui anime beaucoup l’enfant, c’est son dĂ©sir d’ordre et ce dès le plus jeune âge,

« la nature a mis chez l’enfant cette sensibilitĂ© Ă l’ordre pour construire un sens intĂ©rieur qui n’est pas destinĂ© Ă Ă©tablir la distinction entre les choses, mais la distinction des rapports entre les choses » (p.49).
C’est la manifestation d’un besoin psychique car
« à quoi servirait l’accumulation des images extĂ©rieures, s’il n’existait pas l’ordre qui les organise ? Si l’homme avait seulement connaissance des objets et non de leurs rapports entre eux, il se trouverait dans un chaos sans issue » (p.50).
Il existe deux types de sensibilitĂ© Ă l’ordre :
« la sensibilitĂ© Ă l’ordre existe chez l’enfant Ă la fois extĂ©rieurement – et elle a trait aux rapports entre l’enfant et l’ambiance – et intĂ©rieurement, et elle lui fait prendre conscience des diffĂ©rentes parties de son corps et de leur position » (p.51).
L’enfant n’est donc pas un ĂŞtre passif, un vase vide qu’il s’agit de remplir d’action. L’enfant se nourrit d’une sensibilitĂ© intĂ©rieure depuis sa naissance et jusque l’âge de cinq ans. Il apprend au moyen de ses sens. Et son dĂ©sir d’ordre illustre très clairement ses capacitĂ©s de raisonnement,
« les images s’organisent tout de suite au service du raisonnement, et c’est pour le service du raisonnement que l’enfant absorbe tout d’abord les images » (p.58).
IndiffĂ©rent ou peut-ĂŞtre inquiĂ©tĂ© par cet univers de l’enfant qu’il ne connaĂ®t pas, ou bien dĂ©sirant conserver une part de contrĂ´le sur cet ĂŞtre qui ne cesse d’agir en fonction de dĂ©sirs intĂ©rieurs obscures, l’adulte ne cesse ne soumettre l’enfant Ă ses règles, ses rythmes, sa perception du monde, le rendant passif et insensible au monde qui l’entoure.
« Le conflit entre l’adulte et l’enfant commence quand celui-ci est arrivĂ© au point de son dĂ©veloppement oĂą il peut commencer Ă agir » (p.65),
car au lieu d’encourager, d’aider cette action, l’adulte prĂ©fère endormir l’enfant, en lui imposant le sommeil,
« il faut pourtant distinguer le sommeil normal de l’enfant du sommeil artificiel que nous provoquons chez lui » (p.67).
Il en va de mĂŞme pour ce qui est de la marche, l’adulte ne prenant plus le temps d’accompagner l’enfant dans la dĂ©couverte de son dĂ©veloppement psychomoteur. De mĂŞme, l’adulte interdit souvent Ă l’enfant d’explorer au moyen du toucher le monde qui l’environne alors que
« la main est cet organe dont la structure fine et compliquĂ©e permet Ă l’intelligence de se manifester, Ă l’homme, de prendre possession de l’ambiance, de la transformer et, guidĂ©e par l’intelligence, d’accomplir sa mission dans le cadre de l’univers » (p.76).
Tout cela prend du temps, l’enfant a un rythme plus lent, mais qui ne signifie pas pour autant passif, car bien souvent, ce n’est que l’adulte qui le rend passif en ne respectant pas ce rythme de l’enfant, le stimulant incessamment, lui venant en aide de façon intempestive :
« en voyant les efforts de l’enfant pour exĂ©cuter une action souvent inutile ou futile et que l’adulte pourrait accomplir en un instant et avec bien plus de perfection, il est tentĂ© de l’aider, interrompant ainsi un travail qui le gĂŞne » (p.83).
Or,
« le rythme fait partie intĂ©grale de l’individu ; c’est un caractère qui lui est propre, au mĂŞme titre que la forme de son corps » (p.84).
L’adulte a malheureusement cette tendance Ă la substitution de la personnalitĂ© et
« la substitution de l’adulte Ă l’enfant ne consiste pas seulement Ă agir Ă la place de celui-ci ; elle peut ĂŞtre l’infiltration de la volontĂ© puissante dans celle de l’enfant » (p.86),
effaçant la personnalitĂ© de l’enfant en devenir, annihilant son individualitĂ©. Il est faux de s’imaginer que lorsque l’enfant imite l’adulte c’est parce qu’il fait comme l’adulte, qu’il se contente de reproduire des actions que l’adulte a initiĂ©es,
« avant mĂŞme que l’enfant ne rĂ©ussisse Ă exĂ©cuter des actions clairement logiques comme celles qu’il a vu accomplir par les adultes, il commence par agir avec des buts Ă lui, employant les objets de façon souvent inintelligible pour nous » (p.78).
L’adulte doit donc se placer en observateur, en soutien Ă l’enfant, car
« si la personnalitĂ© de l’enfant – qui est faible – doit ĂŞtre aidĂ©e dans son dĂ©veloppement par celle de l’adulte – qui est puissante – il faut que celle-ci sache se faire indulgente et, prenant comme point d’appui le guide que constitue pour lui l’enfant, considère comme son propre honneur de pouvoir le comprendre et le suivre » (p.69).

La maison des enfants
Dans une deuxième partie, intitulĂ©e « Les voies nouvelles de l’Ă©ducation« , Maria Montessori nous raconte l’expĂ©rience qu’elle a vĂ©cue avec de jeunes enfants pour qui elle a créé la première Maison des enfants en 1906. Selon elle l’environnement adulte n’est pas adaptĂ© aux enfants, elle s’est donc attachĂ©e Ă favoriser une ambiance qui soit adaptĂ©e aux très jeunes enfants qu’elle accueillait. Ainsi,
« en prĂ©parant un milieu adaptĂ© au milieu vital, la manifestation psychique naturelle doit se produire spontanĂ©ment, amenant la rĂ©vĂ©lation du secret de l’enfant » (p.93).
Elle rappel aussi Ă tout futur Ă©ducateur que la première dĂ©marche Ă faire avant d’entreprendre la mise en Ĺ“uvre de cette nouvelle Ă©ducation, consiste Ă faire un travail sur soi-mĂŞme :
« ce qu’il nous faut supprimer, ce n’est pas l’aide apporter par l’Ă©ducation : c’est notre Ă©tat intĂ©rieur, notre attitude d’adulte, qui nous empĂŞche de comprendre l’enfant » (p.103).
Restant Ă l’Ă©coute de ces quarante enfants qui viennent quotidiennement dans cette Ă©cole maternelle, elle dĂ©couvre qu’ils ont une propension naturelle Ă la rĂ©pĂ©tition,
« un curieux comportement, commun Ă tous et, pour ainsi dire constant dans chacune de leurs actions, Ă©tait ce caractère propre au travail de l’enfant, que j’appelai plus tard la rĂ©pĂ©tition de l’exercice » (p.110).
Par ailleurs, elle remarque que les enfants s’investissent davantage dans une activitĂ© si elle est librement choisie, et
« c’est ainsi que le principe du libre choix accompagna celui de la rĂ©pĂ©tition de l’exercice » (p.113).
Elle comprend aussi rapidement que le jouet n’a que peu d’intĂ©rĂŞt pour les enfants, qu’ils prĂ©fèrent s’investir dans des activitĂ©s plus Ă©levĂ©es. Elle dĂ©couvre aussi que les punitions et rĂ©compenses ne servent Ă rien, que les enfants apprĂ©cient particulièrement le silence et qu’ils aiment qu’on leur apprenne Ă ĂŞtre des ĂŞtres dignes.
L’adulte responsable des dĂ©viances de l’enfant
Dans une troisième partie intitulĂ©e « ConsĂ©quences« , Maria Montessori nous explique en quoi cette mĂ©thode d’Ă©ducation n’en est pas vraiment une. Tout au long de cette dernière partie, elle nous explique et dĂ©nonce les travers des adultes en Ă©tayant ces propos de points de vue et de rĂ©fĂ©rences philosophiques et psychanalytiques. Ainsi prĂ©sente-t-elle l’adulte comme un vĂ©ritable tyran vis-Ă -vis de l’enfant favorisant sans cesse les dĂ©viations, inversant ainsi notre façon habituelle de considĂ©rer l’enfant et Ă©clairant sous un Ĺ“il nouveau les propos avancĂ©s dans sa première partie. Ainsi nous offre-t-elle un panel des nĂ©vroses naissantes (hystĂ©rie, obsession, complexe d’infĂ©rioritĂ©, mythomanie,…) tout en nous rappelant que le seul responsable de ces dĂ©viances n’est que l’adulte qui ne fait pas l’effort de mieux comprendre ses enfants mais
« exhibe devant eux sa propre perfection, sa propre maturitĂ©, son propre exemple historique, en demandant qu’on l’imite » (p.199).
Cet ouvrage pourrait ĂŞtre tout autant classĂ© dans la catĂ©gorie des sciences de l’Ă©ducation que dans celle de la psychanalyse des enfants. Maria Montessori prĂ´ne ici un retour Ă l’individu et au dĂ©veloppement de la personnalitĂ© de chaque ĂŞtre. Elle nous indique que ce retour peut ĂŞtre opĂ©rĂ© par un renouvellement de l’Ă©ducation donnĂ©e Ă l’enfant, une Ă©ducation plus libre, plus adaptĂ©e, plus humble.
Connaissiez-vous Maria Montessori, sa pĂ©dagogie, ses ouvrages ? Que pensez-vous de son approche de l’enfant et de l’Ă©ducation ? Partagez vos impressions en commentaire.




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