L’article L’Inconscient de Freud s’inscrit dans un double questionnement :
- 1. Légitimer l’étude des processus psychiques inconscients comme objet scientifique.
- 2. Interroger la communauté scientifique sur l’existence de l’inconscient.
Initialement, cet article devait intégrer un recueil plus large regroupant douze essais. Ce projet, intitulé Métapsychologie, n’inclura finalement que cinq textes. Le terme métapsychologie associe les notions de méta (au-delà, caché) et de psychologie, renvoyant à une exploration des dimensions latentes du psychisme. La psychanalyse est associée à l’idée d’une découverte, celle qu’il est possible de comprendre la signification cachée d’un rêve, d’un acte manqué ou d’un symptôme psychique. Cette découverte majeure s’appuie sue l’hypothèse d’un inconscient.
Or cette hypothèse se heurte à certaines difficultés théoriques :
- 1. La thèse selon laquelle une représentation liée à une pulsion refoulée continue d’agir alors même qu’elle est inconsciente ⇒ Freud affirme que des processus psychiques échappent et travaillent à l’insu et au sein même du sujet conscient. Il existe bien une causalité psychique inconsciente.
- 2. L’inconscient n’est pas connaissable directement, il ne peut être attesté dans aucune observation empirique. C’est le principal reproche fait à la psychanalyse : comment revendiquer une légitimité scientifique et construire une hypothèse uniquement sur une inférence ?
Freud considère trois aspects complémentaires du processus psychique inconscient : dynamique , topique et économique.
- – Dynamique : explore les conflits entre les différentes instances psychiques.
- – Topique : identifie trois systèmes — le conscient (Cs), le préconscient (Pcs) et l’inconscient (Ics) — avec leurs règles spécifiques.
- – Économique : examine la circulation et la transformation de l’énergie psychique.
Ces topiques sont des lieux, des systèmes qui ont des propriétés et des règles de fonctionnement spécifiques : le conscient, le préconscient et l’inconscient.
- – Le conscient c’est le centre de la réflexion et que sous tend un caractère volontaire de contrôle.
- – Le préconscient est composé de représentations qui sont soit accessibles à la conscience soit possiblement refoulées dans l’inconscient.
- – L’inconscient ignore la négation et le doute, la dimension du temps ; il est régit par le principe de plaisir, la conscience morale est inexistante et ne s’oppose donc pas à nos représentations de désirs.
À partir de cette cartographie, Freud établit les relations dynamiques qui existent entre chacun des systèmes et notamment de quelle façon ils entrent en conflit entre eux. Enfin Freud offre un point de vue économique qui nous permet de comprendre comment l’énergie des pulsions inconscientes se transforment, se déplacent et se réorganisent.
La justification de l’inconscient
L’objectif du processus de refoulement n’est pas de supprimer une représentation mais de la mettre à l’écart de la conscience. Et ce n’est pas parce que cette représentation est inconsciente qu’elle ne peut plus agir. Au contraire, elle peut même encore depuis l’inconscient atteindre la conscience.
Freud commence par quelques paragraphes pour affirmer la légitimité de la psychanalyse à « émettre l’hypothèse d’un psychique inconscient et à travailler scientifiquement avec elle » (p.46). L’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime.
- – Nécessaire parce que les données de la conscience sont lacunaires, en témoignent les actes manqués et les rêves, tout comme les symptômes psychiques. Les processus psychiques inconscients sont les mêmes que les processus conscients : représentations, tendances, décisions.
- – Légitime car « la conscience ne transmet à chacun de nous que la connaissance de ses propres états psychiques » (p.52). C’est la condition pour comprendre l’autre.
De la même manière, c’est-à-dire par un processus d’identification, que nous attribuons à l’autre humain une conscience, nous pouvons faire l’hypothèse qu’une autre conscience, différente de la première qui nous est immédiate, existe en nous et est reliée à la première : c’est l’inconscient. Cette déduction d’une deuxième conscience en nous peut être autrement considérée : il s’agit plutôt d’actes psychiques qui échappent à notre conscience. Le subconscient, lui, révèle une scission de la conscience tantôt tournée vers le conscient tantôt vers l’inconscient.
La polysémie de l’inconscient et le point de vue topique
Freud distingue deux systèmes :
– le système conscient (Cs)
– le système inconscient (Ics)
Sur la base de ces deux systèmes, il nous explique alors quel est le parcours d’une représentation en deux phases :
1ère phase : épreuve de la censure
2ème phase : arrivée dans le système Cs
Si la représentation rencontre un refus lors de la 1ère phase alors il y a refoulement. Si la représentation franchit la censure, alors elle devient « capable de conscience » : c’est le préconscient.
En établissant cette topique (Ics, Pcs, Cs), la psychanalyse se distingue un peu plus de la psychologie.
Freud pose la question : devons-nous considérer que la représentation reste identique lors de son passage de l’Ics vers le Prcs/Cs ? La représentation peut être dans les deux lieux à la fois : dans l’Ics et dans le Cs.
Sentiments inconscients
Existe-t-il autre chose que des représentations inconscientes ?
La pulsion est et reste inconsciente. Il n’y a que la représentation de la pulsion qui peut être consciente. Même dans l’Ics, la pulsion se traduit par une représentation. La pulsion s’attache à une représentation.
On pourrait croire qu’une sensation, un sentiment ou un affect du fait d’être inévitablement ressentis, sont indubitablement conscients.
Mais il est possible que nous ressentions quelque chose sans la connaître. Dans ce cas, il y a comme un transfert de représentation du sentiment ou de l’affect.
Les représentations sont des investissements (de traces mnésiques). Les affects et les sentiments sont des processus de décharges qui sont perçues comme des sensations.
Si les affects ont pour origine l’Ics, alors ils prennent le caractère de l’angoisse.
Freud explique pour quelle raison certaines représentations se substituent aux représentations initiales et en quoi cette substitution est importante dans la formation de la névrose.
Chez un individu dont l’état psychique est considéré comme étant normal, le « Cs domine l’affectivité et la motilité » (p.72). L’affectivité permet la décharge motrice et donc la transformation interne de notre corps sans qu’il y ait d’interactions avec le monde extérieur. La motilité se traduit en actions visant à transformer le monde extérieur.
Le conflit entre Cs/Pcs et Ics se joue au niveau de l’affectivité.
La motion pulsionnelle attend parfois d’avoir une représentation substitutive dans le CS.
Dans le refoulement, il y a dissociation entre affect et représentation.
Topique et dynamique du refoulement
Le refoulement s’opère sur les représentations à la frontière entre Ics et Pcs/Cs. Freud fait alors l’hypothèse qu’il s’agit d’un retrait d’investissement. Se posent alors deux questions :
Question 1 : dans quel système se produit se désinvestissement ?
Question 2 : de quel système vient l’investissement ?
La représentation refoulée conserve son investissement, c’est donc autre chose qui est retiré. Le désinvestissement se produit dans le Pcs. La représentation est non investie ou bien elle conserve un investissement depuis l’Ics.
Il y a dans le Pcs, un contre-investissement de la représentation grâce auquel le pcs se protège de la représentation inconsciente. Le contre-investissement est le mécanisme du refoulement originaire.
La métapsychologie c’est l’étude de la psyché (du psychisme) d’un point de vue dynamique, topique et économique. Freud analyse les différents contre-investissements en fonction de la névrose (phobie, névrose de transfert et névrose de contrainte/obsessionnelle).
Les qualités propres au système inconsciente
L’Ics est constitué de motions pulsionnelles qui cohabitent. Dans le système Ics, il n’y a ni négation, ni doute, ni certitude. On y trouve deux processus essentiels : le déplacement et la condensation.
- – Le déplacement « permet à une représentation de transmettre à une autre la somme de son investissement » (p.88).
- – La condensation c’est « prendre sur soi tout l’investissement de plusieurs autres [représentations] » (p.88).
Ces deux processus sont les signes d’un processus primaire. On retrouve le processus secondaire dans la Pcs.
L’Ics est intemporel et ne tient pas compte de la réalité. Il est soumis au principe de plaisir.
Freud décrit les spécificités du système inconscient :
Absence de contradiction : les désirs contradictoires coexistent.
Processus primaire : inclut le déplacement (transfert d’énergie entre représentations) et la condensation (fusion d’investissements multiples sur une même représentation).
Intemporalité : l’inconscient ignore la chronologie.
Substitution de la réalité externe par la réalité psychique.
Ces processus inconscients ne sont perçus que dans les rêves et les névroses, autrement dit dans la mesure où le système Pcs régresse. En dehors de ces contextes, ces processus ne sont pas perceptibles, ils n’existent pas.
Le rapport entre les deux systèmes
Le système Ics ne se résume pas au refoulement.
Il y a deux censures :
– la censure contre l’Ics (entre Ics et Pcs)
– la censure contre les dérivés préconscients de l’Ics (entre Pcs et Cs)
Dans une cure psychanalytique, il s’agit de lever la deuxième censure pour accéder aux mécanismes de refoulement. Freud met également en avant le rôle du transfert : l’Ics d’une personne peut interagir directement avec l’Ics d’une autre, contournant la conscience : « Fait particulièrement remarquable, l’Ics d’une personne peut réagir à l’Ics d’un autre en contournant le Cs » (p.101).
La prise de conscience n’est pas juste un acte de perception, mais aussi, un surinvestissement (p.101). Le contenu du système Pcs/Cs, ce sont à la fois la vie pulsionnelle et la perception.
L’identification de l’inconscient
Dans ce chapitre, il est question de la relation objectale : à partir de cette relation à l’objet, Freud nous permet de reconnaître les particularités de l’inconscient. Pour se faire, Freud s’appuie sur la comparaison entre l’état névrotique et l’état psychotique (plus particulièrement la schizophrénie) dans la relation entre le moi et l’objet.
Dans le cas de la névrose, après le refoulement, la libido cherche un nouvel objet d’investissement.
Dans la psychose, non, elle se retire dans le moi, un état de narcissisme sans object (anobjectal) est rétabli.
Il n’y a donc pas de transfert possible chez les psychotiques car abandon des investissements d’objet.
La métapsychologie, selon Freud, explore la psyché sous trois angles (dynamique, topique, économique) pour comprendre les mécanismes complexes du refoulement, de la pulsion et des conflits internes. Elle se distingue ainsi de la psychologie traditionnelle en approfondissant l’étude des processus inconscients.