Le refoulement est un des mécanismes de défense de l’inconscient en psychanalyse. Il permet de ne pas laisser passer les pulsions internes inacceptables dans la conscience. Il permet aussi de ne pas conserver des traumatismes dans le conscient en les enfouissant au plus profond de l’inconscient.

Imaginez que votre psychisme est un pays avec une frontière bien gardée. À cette frontière se tient un douanier vigilant : le moi. Son rôle est de contrôler ce qui peut entrer dans et sortir de la conscience. Lorsqu’une pensée, une émotion ou un souvenir jugé trop perturbant tente de passer, le douanier l’intercepte et l’empêche d’entrer dans la ville consciente. De la même manière, quand un traumatisme commet une effraction dans la conscience, le moi utilise à nouveau ce processus de refoulement pour le faire passer de l’autre côté de la frontière et l’envoyer dans l’inconscient. Mais ces éléments refoulés ne disparaissent pas pour autant !

Que deviennent nos pensées interdites et nos traumatismes une fois refoulés ? Peuvent-ils vraiment disparaître ?

Qu’est-ce que le refoulement ?

Le refoulement est un processus qui vise à défendre la conscience des pulsions inconscientes. Celles-ci sont jugées inacceptables ou pouvant être désagréables et provoquer du déplaisir.

Lorsque la pulsion est refoulée, elle est comme scindée en deux : une composante psychique et une composante somatique

La composante psychique concerne la représentation qui produira des formations de substitution. La composante somatique concerne l’énergie qui vient du corps qui aura trois destins possibles : la disparition de toute trace de la pulsion, la manifestation par un affect, la transposition en angoisse.

Le refoulement s’effectue en trois temps : le refoulement originaire (ou primaire), le refoulement et le retour du refoulé.

  • Le refoulement originaire ce sont les toutes premières pulsions qui vont être refoulées et qui vont constituer un noyau de représentations inconscientes ; ce refoulement primaire inaugure la névrose
  • Le refoulement c’est le mécanisme de défense qui va refoulé tous les désirs, pulsions qui suivront
  • Le retour du refoulé ce sont toutes les nouvelles tentatives des pulsions de passer la frontière de l’inconscient pour pénétrer dans le conscient
Retour du refoulé

Ce qui est refoulé ne disparaît jamais : retour des contenus inconscients

Le refoulé fait incéssament des tentatives de percée de la conscience car non seulement il ne disparaît, mais il reste actif. Cela signifie qu’il continue de générer des tensions et conflits internes.

Afin de réussir à passer la barrière de la censure exercée par le moi, le refoulé prend différentes formes : 

  • Les lapsus et actes manqués
  • Les symptômes névrotiques
  • Les rêves

Il reste néanmoins une zone totalement inatteignable, ce que Freud nomme “l’ombilic du rêve”. Ce point marque les limites de l’interprétation, là où le travail analytique bute sur un contenu trop profondément enfoui.

L’ombilic du rêve est directement lié au refoulement. Le rêve est une voie d’accès à l’inconscient, car il exprime des désirs refoulés sous une forme déguisée (contenu manifeste et contenu latent). Mais certains désirs ou souvenirs sont refoulés trop profondément et restent inaccessibles à la conscience, même via l’interprétation des rêves. Ce qui est trop traumatique ou trop archaïque pour être représenté dans le rêve est exclu du travail de déformation onirique et marque une impasse dans l’analyse.

Le poste-frontière lacanien : refoulement et langage

Chez Lacan, le refoulement est indissociable du langage et de l’ordre symbolique. Contrairement à Freud, qui décrit le refoulement comme un processus psychique inconscient empêchant certains contenus d’accéder à la conscience, Lacan le pense dans le cadre de la structure du langage et de l’inscription du sujet dans le symbolique.

Lacan reformule le refoulement en s’appuyant sur la linguistique (Saussure, Jakobson) et la structure du langage. Le refoulement ne concerne pas seulement une énergie pulsionnelle à réprimer, mais un signifiant qui manque dans la chaîne du langage. Ce qui est refoulé est un signifiant qui n’a pas trouvé sa place dans l’ordre symbolique et qui revient sous une autre forme (lapsus, acte manqué, symptôme).

Lacan distingue trois registres :

  • Le Réel : ce qui échappe au langage, ce qui ne peut être symbolisé.
  • L’Imaginaire : le domaine des images et des identifications.
  • Le Symbolique : le domaine du langage, des lois, des structures qui organisent le sujet.

Le refoulement se joue dans le passage du Réel au Symbolique. Pour qu’un désir ou une expérience soit intégrée dans la psyché, elle doit être symbolisée, c’est-à-dire traduite en mots et en signifiants. Si un signifiant est rejeté du Symbolique, il devient refoulé et revient sous forme de trouble du langage ou de symptôme.

Lacan reprend les concepts de métaphore et métonymie pour expliquer comment fonctionne le refoulement dans le langage.

  • La métaphore (substitution d’un signifiant par un autre) est le mécanisme du refoulement primaire.
    • Un signifiant insupportable est remplacé par un autre qui en masque le sens.
    • Ce qui est refoulé disparaît de la chaîne signifiante, mais revient sous une autre forme.
  • La métonymie (déplacement du sens) est le mécanisme du retour du refoulé.
    • Le signifiant refoulé ne revient pas tel quel, mais sous une forme déplacée (symptôme, lapsus, rêve).

Lacan introduit un autre élément central : le Nom-du-Père, qui structure le refoulement. Le Nom-du-Père est le signifiant qui permet au sujet d’entrer dans l’ordre symbolique et d’accepter la loi (interdiction de l’inceste, séparation d’avec la mère). C’est ce signifiant qui refoule la jouissance (le pur plaisir pulsionnel non régulé) et permet au sujet de désirer à travers le langage plutôt que par une satisfaction immédiate.

Si le refoulement fonctionne mal (ex. : forclusion du Nom-du-Père), le sujet peut ne pas accéder au Symbolique et développer des symptômes psychotiques.

Chez Lacan, le refoulement n’est pas seulement une censure d’un désir inconscient, mais un processus structurant du langage. Ce qui est refoulé est un signifiant manquant, et le sujet est construit autour de ce manque. Ce manque est ce qui pousse le sujet à désirer, car ce qui est refoulé revient sous forme de symptômes, de lapsus ou de fantasmes.

manque à être

Lacan préfère parler de « manque à être » plutôt que de « contenu refoulé ». Lacan introduit la notion de manque-à-être (manque à l’être, manque symbolique), qui renvoie à un vide constitutif du sujet.

Contrairement à Freud, qui parle du refoulement comme un rejet d’un contenu psychique, Lacan montre que ce qui manque n’est pas seulement refoulé, mais structurellement absent. Ce manque vient du fait que le sujet est pris dans le langage, qui ne peut jamais totalement dire l’être. Le sujet se construit autour de cette béance et cherche à la combler, notamment à travers le désir, qui est toujours désir de quelque chose d’inaccessible.

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Le refoulement freudien et le manque-à-être lacanien sont liés dans la mesure où ils pointent une absence structurante.

Le refoulement crée du manque : ce qui est refoulé ne disparaît pas mais reste hors d’atteinte, cela alimente la compulsion de répétition (nous cherchons inconsciemment à retrouver ce qui nous échappe).

Le manque-à-être est la condition du désir : le sujet ne cherche pas tant à récupérer un contenu refoulé qu’à combler un vide fondamental, et ce vide ne peut jamais être comblé totalement, ce qui maintient le désir en mouvement.

Autres perspectives psychanalytiques sur le refoulement 

Si Freud et Lacan ont posé les bases d’une compréhension du refoulement en termes de mécanisme de défense et de structuration du langage, d’autres auteurs de la psychanalyse contemporaine ont proposé des lectures complémentaires. Mélanie Klein, Donald Winnicott et André Green offrent ainsi des éclairages spécifiques qui illustrent comment le refoulement se manifeste dès les premières expériences affectives, dans la relation avec l’environnement et parfois même par une absence de mouvement symbolique.

Mélanie Klein : refoulement et angoisses primitives dans les positions schizo-paranoïde et dépressive

Pour Klein, l’enfant, confronté à des angoisses primitives, se trouve dans une phase où il scinde ses perceptions en objets bons et objets mauvais. Dans la position schizo-paranoïde, le refoulement intervient pour tenir à distance les images ou représentations d’objets menaçants, permettant au moi de se protéger de la peur d’intrusion de ces aspects perçus comme destructeurs. Ce mécanisme est intimement lié à la dynamique de la persécution et de la paranoïa primitive.

Lorsque l’enfant évolue vers la position dépressive, il intègre simultanément des aspects positifs et négatifs de l’objet aimé. La reconnaissance de cette ambivalence suscite une angoisse profonde, accompagnée d’un sentiment de culpabilité face aux désirs agressifs dirigés vers l’objet aimé. Le refoulement, ici, sert à contenir ces pulsions conflictuelles en les renvoyant dans l’inconscient, permettant ainsi d’éviter une débordante culpabilité, mais engendrant par la suite des symptômes de dépression ou des manifestations de remords.

Donald Winnicott : refoulement et faux-self – quand l’enfant s’adapte trop à l’environnement

Winnicott observe que lorsque l’environnement – souvent représenté par la mère ou la figure d’attachement – ne parvient pas à répondre adéquatement aux besoins affectifs et créatifs de l’enfant, ce dernier développe un faux-self. Ce faux-self est une adaptation qui permet de satisfaire les attentes de l’environnement, même au prix d’une aliénation progressive du vrai-self.

Dans ce contexte, le refoulement opère en excluant du champ de la conscience les impulsions spontanées et authentiques de l’enfant. Le vrai-self, porteur d’une créativité et d’une spontanéité essentielles, est alors mis de côté afin de favoriser une apparence de conformité. Ce mécanisme, bien que protecteur face à un environnement intrusif ou peu empathique, peut conduire ultérieurement à une dissociation interne et à une difficulté à accéder à sa propre identité authentique.

refoulement et clinique du négatif

André Green : refoulement et clinique du négatif – quand il ne se passe rien…

André Green explore une dimension moins visible du refoulement, celle d’une « clinique du négatif ». Pour lui, le refoulement peut parfois ne pas se traduire par des symptômes classiques (lapsus, actes manqués ou névroses évidentes) mais par une absence – une inertie du monde psychique.

Dans certains cas, le refoulement n’engendre pas une expression symptomatique directe, mais crée un vide où « il ne se passe rien ». Cette absence de production symbolique reflète une coupure profonde dans le processus de pensée et de représentations. Le sujet se retrouve alors face à une impasse, une sorte de blocage où le contenu refoulé ne peut être intégré ni exprimé, renforçant une sensation d’inertie et de négativité dans la vie psychique.

Peut-on franchir la frontière du refoulé ?

En séance psychanalytique, le travail sur le refoulement vise à faire remonter à la surface des contenus qui se manifestent sous forme de symptômes, de lapsus ou dans le langage du rêve. La méthode de l’association libre, en particulier, permet au patient de laisser émerger spontanément des pensées et des images qui, autrement, resteraient inaccessibles.

Le thérapeute aide le patient à reconnaître et à interpréter ces manifestations indirectes afin de reconstituer le fil des associations et à comprendre le sens des contenus refoulés. Ce travail vise non seulement à réduire les symptômes, mais aussi à permettre une réorganisation de la vie psychique, en intégrant progressivement ce qui était tenu à distance par le mécanisme de défense.

Conclusion

Le refoulement est une frontière invisible qui structure notre psychisme, filtrant ce qui peut accéder à la conscience et reléguant à l’inconscient ce qui est jugé trop menaçant ou inacceptable. Pourtant, ce qui est refoulé ne disparaît jamais totalement : il persiste sous forme de symptômes, de lapsus, de rêves ou même d’un manque fondamental qui oriente notre désir.

De Freud à Lacan, en passant par Klein, Winnicott et Green, l’étude du refoulement révèle qu’il est bien plus qu’un simple mécanisme de défense : il est une dynamique essentielle de l’appareil psychique, en lien avec le langage, la relation à l’autre et la construction du sujet.

Si la psychanalyse permet d’explorer ces contenus enfouis, elle ne vise pas à abolir le refoulement, mais à en comprendre les effets, à en atténuer la rigidité et à redonner au sujet une plus grande liberté psychique. Ainsi, traverser les frontières du refoulé, ce n’est pas tant en abolir les barrières que mieux appréhender ce qui, en nous, cherche à se dire malgré l’oubli.

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