L’identification est l’un des concepts fondamentaux de la psychanalyse. Présente dès les premiers textes de Freud et revisitée par Lacan au fil de son enseignement, elle constitue une clé essentielle pour comprendre la constitution du sujet, la formation du moi, les rapports à l’Autre, et les impasses de la subjectivation. Dans cet article, nous allons explorer la notion d’identification sous un angle théorique, en nous appuyant sur les grandes figures de la psychanalyse, afin de mettre en lumière les enjeux profonds de ce mécanisme.

Qu’est-ce que l’identification ?

L’identification est un processus psychique par lequel un sujet assimile un trait, une caractéristique, une attitude ou une position d’un autre sujet ou d’un objet investi. Ce mécanisme opère de manière inconsciente et joue un rôle structurant dans la formation du moi et dans la dynamique des relations intersubjectives.

Il ne faut pas confondre identification et imitation : si l’imitation concerne une reproduction observable, consciente et souvent transitoire de gestes ou de comportements, l’identification implique une incorporation psychique plus profonde et durable. De même, l’identification se distingue de l’introjection (qui concerne l’incorporation d’un objet aimé ou haï) et de la projection (qui consiste à attribuer à l’extérieur des éléments internes du sujet).

L’identification se manifeste dans tous les registres de la vie psychique : elle intervient dans l’amour, dans la haine, dans les idéaux, dans les processus de deuil, dans les formations de masse, dans la constitution du Surmoi, et jusque dans les structures pathologiques. C’est pourquoi Freud l’a qualifiée de « forme la plus originaire du lien affectif à autrui ».

L'identification chez Freud

L’identification chez Freud : une affaire de construction du sujet

Les premières formulations

Dès 1897, Freud utilise le terme d’identification dans sa correspondance avec Fliess, mais c’est surtout dans les textes des années 1910-1920 que le concept prend sa portée structurante. Dans Psychologie des foules et analyse du moi (1921), Freud définit l’identification comme « l’assimilation du moi à un autre moi », précisant qu’elle constitue la forme la plus archaïque du lien affectif.

Il distingue plusieurs types d’identifications, qui ne se situent pas sur le même plan chronologique ni structural.

L’identification primaire

L’identification primaire est la plus originaire. Elle se forme avant même que le sujet n’ait investi un objet extérieur. Freud la décrit comme une identification à l’objet perdu, souvent associée à la mère dans la relation fusionnelle précoce. Le moi naissant s’identifie à l’autre dont il dépend totalement. Cette identification n’est pas le résultat d’un choix, elle précède toute objectalisation et s’installe comme une empreinte originelle.

Cette identification primaire joue un rôle essentiel dans la genèse du Surmoi. Dans Le Moi et le Ça (1923), Freud montre que le Surmoi est l’héritier des identifications infantiles aux figures parentales : lorsque le complexe d’Œdipe se résout, le sujet abandonne ses investissements objectaux incestueux, mais conserve les identifications aux parents. Ces identifications deviennent alors les fondements du Surmoi, qui exerce sa fonction critique et normative sur le moi.

Les identifications secondaires

Les identifications secondaires apparaissent après l’investissement d’un objet. Le sujet, ayant aimé ou haï un objet, peut incorporer certains de ses traits dans son propre moi, notamment lorsque cet objet est perdu (par séparation, abandon, ou renoncement). Cette identification est souvent liée au travail de deuil : le sujet, incapable de renoncer totalement à l’objet perdu, l’introjecte et s’identifie à lui pour le maintenir en lui-même.

Il existe également des identifications aux idéaux, notamment dans les processus de groupement. Freud explique que dans les foules, les individus peuvent s’identifier à un même objet idéal (le chef, le leader, une idée), ce qui produit une homogénéisation des comportements et des affects. Le lien social est alors cimenté par une identification collective.

L’identification et le complexe d’Œdipe

Le complexe d’Œdipe est un théâtre privilégié des processus identificatoires. Le garçon s’identifie tantôt au père, tantôt à la mère, selon les mouvements de rivalité et de désir. À l’issue du complexe, le sujet renonce à ses désirs incestueux et conserve les identifications structurantes aux figures parentales. C’est sur cette base que se construit le Surmoi et que se stabilise l’identité sexuée et sociale du sujet.

L’identification permet ainsi la constitution du moi, la différenciation des sexes, l’intériorisation des interdits et des idéaux. Elle est le mécanisme par lequel le sujet se construit comme sujet humain, inscrit dans une filiation, une culture et une histoire.

Les relectures lacaniennes de l’identification

Avec Lacan, le concept d’identification prend une orientation résolument structurale et linguistique. Loin de se réduire à un simple mécanisme affectif, l’identification devient un moment de l’assujettissement du sujet à l’ordre symbolique et un opérateur fondamental de la structuration du psychisme. Lacan propose trois types d’identification, qui correspondent à ses trois registres : imaginaire, symbolique et réel.

L’identification imaginaire : le stade du miroir

Dans le stade du miroir (exposé en 1936 et repris en 1949), Lacan décrit un moment décisif du développement infantile : entre 6 et 18 mois, l’enfant se reconnaît dans le miroir, c’est-à-dire dans une image extérieure qui lui renvoie une forme unifiée de son corps encore vécu comme morcelé. Cette reconnaissance constitue une première identification, dite imaginaire, à une image de soi extérieure, idéalisée et complète.

Cette identification fondatrice introduit le sujet dans l’ordre de la méconnaissance : il se prend pour cette image de cohérence, alors que son être est encore éclaté et dépendant. Le moi se constitue ainsi sur une aliénation première à une image extérieure. Cette image est en réalité celle de l’Autre (le parent qui porte l’enfant, le regarde, nomme l’image), ce qui lie d’emblée l’identification au désir de l’Autre.

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L’identification symbolique : le Nom-du-Père

L’identification symbolique ne porte pas sur une image, mais sur une place dans la structure du langage et du désir. Elle se produit lorsque le sujet se voit assigner une position dans l’ordre symbolique, par la nomination, l’appel, l’attribution d’un nom ou d’un rôle. Cette identification est structurante car elle inscrit le sujet dans la chaîne signifiante, dans la loi, dans la culture.

Lacan associe cette identification à l’opération du Nom-du-Père, c’est-à-dire à la fonction paternelle qui vient barrer le désir de la mère et inscrire le sujet dans la différence des sexes, la filiation et l’interdit de l’inceste. Le sujet, en s’identifiant à la place de fils, hérite d’un signifiant-maître qui oriente son rapport au langage, à la loi, et à son propre désir.

L’identification symbolique est celle qui permet au sujet de se reconnaître dans un récit, une parole, une place symbolique. Elle est au fondement de l’identité subjective.

L’identification réelle

Plus difficile à cerner, l’identification réelle concerne ce qui échappe à la symbolisation et à l’imaginaire. Lacan évoque cette dimension dans les dernières phases de son enseignement. Elle renvoie à une identification au trou, au manque, au non-représentable.

Elle peut s’illustrer dans certains phénomènes psychotiques, où le sujet semble pris dans une identification à un point de réel, d’horreur ou de jouissance inassimilable. Ce type d’identification met en jeu le réel du corps, de la jouissance, du trauma, là où la symbolisation échoue.

Les enjeux cliniques de l'identification

Les enjeux cliniques de l’identification

La psychanalyse clinique révèle que l’identification joue un rôle différencié selon les structures : névrose, psychose et perversion.

Dans la névrose

Le sujet névrosé est souvent habité par des identifications multiples et conflictuelles. Il peut être tiraillé entre des identifications contradictoires (à la mère, au père, à l’idéal), ce qui produit des conflits intrapsychiques, des inhibitions ou des symptômes. Le névrosé se débat avec des modèles idéalisés, des images de soi idéales, des attentes parentales intériorisées sous forme de Surmoi sévère.

Dans ce contexte, l’analyse vise souvent à défaire certaines identifications aliénantes et à permettre au sujet de retrouver une position plus singulière, moins soumise à l’Idéal de moi.

Dans la psychose

La psychose se caractérise, selon Lacan, par une forclusion du Nom-du-Père, c’est-à-dire par l’absence d’inscription symbolique du sujet dans l’ordre de la loi et de la filiation. L’identification symbolique fait défaut. Le sujet psychotique peut alors se replier sur des identifications imaginaires fragiles ou délirantes, ou se trouver confronté à une identification au réel, souvent source d’angoisse massive.

L’effondrement de l’image du corps, les troubles de l’identité, les phénomènes d’influence ou de persécution trouvent ici une intelligibilité structurelle.

Dans la perversion

Dans la perversion, le sujet ne renonce pas véritablement à l’objet œdipien : il s’y identifie d’une manière qui contourne ou défie la loi. Il ne s’identifie pas à la figure du père, mais prend la place de l’objet du désir de l’Autre, jouant avec la transgression.

L’identification dans la perversion est souvent stratégique : elle vise à maîtriser le désir de l’Autre, à en provoquer les limites. Le pervers se constitue comme celui qui « sait ce que l’Autre désire », ce qui en fait un sujet positionné dans une logique particulière de jouissance.

L’identification aujourd’hui : nouvelles figures, nouveaux enjeux ?

À l’ère contemporaine, marquée par la multiplication des figures d’identification, la fluidité des appartenances, et la montée des images de soi numériques, les processus identificatoires semblent se transformer.

Les réseaux sociaux, les avatars, les selfies, les communautés virtuelles offrent une prolifération d’images et de modèles auxquels s’identifier. L’identification devient parfois flottante, instable, plus imaginaire que symbolique. Le sujet contemporain semble souvent en quête d’une image de soi idéale à afficher, à liker, à consommer.

Par ailleurs, les débats autour du genre, des identités multiples, et des parcours de transition posent de nouveaux enjeux à la psychanalyse : comment penser des identifications qui ne se stabilisent plus sur des repères œdipiens classiques ? Quelles nouvelles fonctions peuvent jouer les figures parentales dans un monde où les structures traditionnelles sont remises en question ?

Ces mutations ne signifient pas la disparition des identifications, mais leur reconfiguration. Elles exigent de repenser le lien entre imaginaire, symbolique et réel dans la construction de l’identité subjective.

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L’identification est un opérateur fondamental de la vie psychique. De Freud à Lacan, elle a été pensée tour à tour comme mécanisme de défense, processus de deuil, vecteur de subjectivation, ou encore condition d’accès au langage et à la loi. Loin d’être un simple mimétisme, elle engage le sujet dans sa relation à l’Autre, à lui-même, et à la structure dans laquelle il s’inscrit.

Comprendre les logiques de l’identification, c’est approcher le mystère de ce que nous croyons être, de ce que nous incorporons de l’Autre, de ce que nous faisons de notre héritage. C’est aussi interroger notre capacité à nous désidentifier de certains modèles pour accéder à notre propre parole.

Pour aller plus loin

Je vous recommande la lecture l’ouvrage de
Alain de Mijolla
L’identification selon Freud

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