L’Adieu au corps – David Le Breton
L’Adieu au corps – David Le Breton

L’Adieu au corps – David Le Breton

L’Adieu au corps est un constat dramatique de notre société qui tend à une accélération de l’évacuation, de l’éviction de notre corps. Depuis les présocratiques, le corps a toujours été cette partie de notre être qui emprisonne l’âme, relégué à la mauvaise partie de l’être. Les gnostiques vouent une véritable haine du corps en le réduisant au Mal. Chez Cioran qui reprend en cela les idées d’Augustin, le corps est dégoût. Aujourd’hui à l’aune des techno-sciences qui considèrent le corps comme un brouillon à corriger, de la cyberculture, des avancées de la médecine et plus particulièrement de la génétique et de la procréation médicalement assistée, notre corps humain devient ce qu’il faut à tout pris supprimer. David Le Breton dénonce dans son ouvrage les dérives et fantasmes de ces idées dignes des plus grands livres de science-fiction.

L'adieu au corps David Le Breton

Le corps, cette mort qui nous habite

Le corps est cette

« limite insupportable du désir, maladie inguérissable » (p.8),

celle de notre condition humaine, de notre existence que nous souhaiterions immortelle, impérissable, celle de la vie bien délimitée par le néant de ce qui la précède et celui de ce qui lui succède. L’idée de ce vide existentiel ne cesse tout au long de notre histoire de nous hanter et le corps est ce qui en fixe radicalement les limites, celles de nos fantasmes de pérennité, d’éternité. L’éternité au paradis elle-même n’est représentée dans toutes les formes de religion que sous l’aspect d’un pur esprit détaché du corps qui l’entrave, à moins de finir en enfer où tout n’est que douleur physique infligée au corps.

Afin de se défaire de cette angoisse qui accompagne l’être tout au long de sa vie, l’individu se réfugie dans l’illusion qu’il peut combattre la mort et donner tout pouvoir à la vie. Idée paradoxale, transfert de conception religieuse fondée sur un rapport au monde où l’éternité se gagne en éradiquant le corps et en développant le pur esprit, radicalisme cartésien, il s’agit de mettre à mort le corps pour que seul vive l’esprit.

Il s’agit de taire le silence pour que la parole enfin parle éternellement. Ce combat se mène de front avec sa batterie d’armes scientifiques et culturelles : la génétique, la procréation médicalement assistée, les techno-sciences, la cyberculture, dérives mécanicistes prenant pour formule sacrée « le corps est une merveilleuse machine ».

L’homme est relégué à l’insensibilité, fantasmée plus que vécue, à la douleur et au plaisir, à une composition savamment agencée d’organes désormais engrenages, rouages, dont la médecine pallie le moindre dysfonctionnement, les techno-sciences la moindre défaillance, la cyberculture le moindre désir. Or

« le plaisir et la douleur sont les attributs de la chair, ils impliquent le risque de la mort et la symbolique sociale » (p.13)

nous rappelle David Le Breton. Sans eux nous ne sommes plus humains, des êtres enracinés dans notre relation, notre rapport à l’Autre, au monde, à nous-mêmes, avec sont lot de sensations et d’émotions fussent-elles agréables ou désagréables, enracinés dans cette vie pleine de notre mort.

La relation au corps est nécessairement relation au monde et donc à la mort et au silence. Notre quotidienneté nous fait mettre entre parenthèses notre corps qui réapparaît sous forme de symptômes. Ainsi réduisons-nous notre rapport au monde. De même dans notre rapport au silence : nous préférons mettre entre parenthèses notre silence, nous réfugier dans un flot de paroles, simulacres de langage, et notre silence apparaît sous la forme de symptômes. Comme nous voulons évacuer – et non plus repousser l’échéance de – notre mort, nous réduisons notre relation et au corps et au silence.

« Le corps est devenu la prothèse d’un Moi éternellement en quête d’une incarnation provisoire pour assurer une trace significative de soi » (p.24) nous dit D. Le Breton.

Cette incarnation ne peut se passer de l’acceptation d’une mort inéluctable et d’un silence à la fois immanent et transcendant. Le Moi n’émerge que d’un Ça silencieux, réserve pulsionnelle de mort vitale et de vie mortelle, préexistant à toute parole d’un Surmoi, l’Autre social et culturel. Si le corps et le silence n’existent plus, le Moi ne naîtra jamais et l’individu sera réduit à un artefact sociétal et culturel.

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Aujourd’hui (mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi ?), l’homme fait de son corps un motif de représentation de soi qui colle aux impératifs de notre société contemporaine, impératifs de négation du corps : le corps doit s’endurcir, être d’une esthétique parfaite afin de révéler le pur esprit qui est emprisonné en lui, ou bien être le reflet d’une haine de la société comme dans les expériences artistiques et culturelles :

« la haine du social se retourne en haine du corps qui symbolise justement le rapport à autrui. […] Le corps est une surface de projection dont l’altération dérisoire témoigne du refus radical des conditions d’existence d’une certaine jeunesse » (p.30).

Le corps, la parole silencieuse de l’Autre

Dès lors que l’individu renonce à son corps il renonce à lui-même, à l’Autre et au monde. Nous parlant du clonage, David Le Breton nous rappelle que

David Le Breton

« le fantasme de toute-puissance de l’individu sur son clone, la dépendance morale du second, son sentiment de ne pas vivre pour soi mais comme un écho assourdi de l’autre, rend difficilement pensable la question du sens de sa propre existence. Le brouillage symbolique entre soi et l’autre paraît pour le double une épreuve morale malaisée à surmonter dans la constitution d’une identité personnelle. Comment échapper à la fascination mortelle du miroir quand on n’existe qu’à la manière d’un reflet ? » (p.130)

Il y a dans cette idée de clonage un véritable refus de la parole de l’Autre, preuve de son existence, de son humanité, de sa subjectivité. Il n’en va pas autrement chez le pervers qui refuse à l’Autre toute subjectivité en ne le considérant que comme un objet dévoué à tous ses désirs. Il en va de même de la cyberculture et de la cybersexualité plus particulièrement :

« l’extrême contemporain introduit dans l’univers de la sexualité une formidable rupture. Désormais, avec les moyens télématiques la présence charnelle de l’Autre n’est plus nécessaire. La cybersexualité réalise une disparition sans équivoque de la chair.  » (p.162)

La mise à nu de l’Autre, comme une mise à mort de la mort elle-même dans son saisissement au corps de la relation sexuelle, n’est plus de mise et la remise en question de l’individu n’a plus lieu d’être. Chacun contourne le corps par la machine et fait de l’Autre un être sans âme soumis à ses seuls désirs.

« La cyberculture en simulant le réel selon la volonté, en alimentant un fantasme de toute-puissance chez son usager, est une tentation parfois redoutable face à l’infinie complexité et à l’ambivalence du monde. Le réel est hors de toute maîtrise, inépuisable, il résiste aux essais de le soumettre, de le rendre hospitalier à un dessein personnel. Il implique un débat permanent avec soi et avec les autres. L’ambiguïté du monde ne tient plus qu’à une fenêtre posé sur lui. » (p.149)

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« L’adieu au corps »

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