Le vocabulaire de la psychanalyse est souvent teinté de mystère et parfois même de malaise. Parmi les notions les plus énigmatiques, le complexe de castration occupe une place centrale dans la théorie freudienne et continue d’alimenter débats, malentendus et résistances. À tort réduit à une idée de mutilation physique ou à un fantasme dépassé, il reste pourtant un concept structurant, au croisement de la sexualité infantile, du désir, de la différence des sexes et de l’entrée dans le monde symbolique.

Alors pourquoi parler du complexe de castration aujourd’hui ? Parce qu’il fait partie intégrante du développement psychique du sujet et qu’il n’est pas sans lien avec le complexe d’Oedipe et le stade phallique que nous avons abordé précédemment.

“Sigmund Freud appelle complexe de castration le sentiment inconscient de menace, éprouvé par l’enfant, lorsqu’il constate la différence anatomique des sexes” nous disent Elisabeth Roudinesco et Michel Plon dans le Dictionnaire de la psychanalyse.

Comprendre le complexe de castration a un intérêt à la fois théorique et clinique important. Théorique parce que sa compréhension offre la possibilité de mieux saisir le complexe d’Oedipe. Clinique car le complexe de castration est à l’origine de nombreux symptômes et qu’il implique un travail analytique subtil et précis.

L’objectif de cet article est de vous permettre une clarification de la notion de complexe de castration, de mieux saisir ses origines, de bien appréhender ses effets ainsi que sa pertinence contemporaine.

Origine du concept chez Freud

Le complexe se retrouve dans trois œuvres majeures de Freud : dans Les trois essais sur la théorie sexuelle, dans L’analyse avec fin et sans fin et dans Inhibition, symptôme et angoisse.

Dans les trois essais sur la théorie sexuelle, il s’agit d’un article intitulé L’organisation génitale infantile rédigé en 1923 qu’il intègre à son ouvrage en 1930. Ce n’est que dans cet article que Freud associe le complexe de castration au complexe d’Oedipe et qu’il est inséré dans la théorie freudienne du développement sexuel de l’individu.

Dans L’analyse avec fin et sans fin, Freud associe le complexe de la castration à l’idée qu’il est impossible à tout individu de renoncer à ses premiers désirs.

Dans Inhibition, symptôme, angoisse, Freud s’oppose aux formes métaphoriques de la castration et s’en tient à considérer le complexe de castration comme étant de l’ordre du fantasme pour ce qui est de la menace et de l’originaire concernant son articulation avec le complexe oedipien.

Pour Freud, le complexe de castration est lié à la découverte par l’enfant de la différence anatomique des sexes : constat que tous les êtres humains ne possèdent pas les mêmes organes génitaux, ce qui génère une série d’hypothèses infantiles et de fantasmes.

Le complexe de castration est bien une organisation fantasmatique autour de de la perte du pénis ou du manque du phallus : la perte du pénis concerne le garçon et le manque du phallus se retrouve chez la fille.

La notion centrale est la suivante : l’enfant croit que tout le monde possède un pénis. Lorsqu’il découvre que ce n’est pas le cas (souvent en observant le sexe d’une sœur ou d’une camarade), il interprète cette absence non comme une différence mais comme une perte, donc comme une castration.

Cette découverte provoque une angoisse intense chez le petit garçon : la crainte que lui aussi puisse perdre son pénis, généralement par la punition du père s’il désire la mère (situation œdipienne). Chez la petite fille, l’absence de pénis est interprétée comme un manque, source de revendications et de déplacements.

Les étapes du complexe de castration

Les étapes du complexe de castration

Le complexe de castration ne se manifeste pas de la même manière selon le sexe de l’enfant. Freud insiste sur la dissymétrie entre garçons et filles.

Chez le garçon

Le petit garçon découvre que la petite fille n’a pas un pénis alors que lui en a un.

Si dans un premier temps il se réfugie dans le déni en évoquant le fait que la petite fille n’a pas encore de pénis mais qu’il va pousser, grandir, dans un second temps il va imaginer que si la fille n’a pas de pénis comme lui c’est qu’il lui a été retiré, qu’elle a été châtrée.

S’ensuit la peur, la crainte de subir le même sort que la fille, de perdre le pénis qu’il possède, ce qui va générer l’angoisse de castration.

Cette crainte est renforcée par le désir incestueux pour la mère et la menace d’un père rival. L’angoisse de castration agit alors comme un frein au désir œdipien : le garçon se retire de la rivalité et s’identifie au père. C’est le moment de la résolution du complexe d’Œdipe.

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Chez la fille

Chez la petite fille, les étapes du complexe se font différemment. Elle constate dans un premier temps qu’il lui manque quelque chose : le phallus.

La petite fille ne va donc pas craindre de perdre un pénis comme le petit garçon, mais elle a d’emblée un sentiment de perte ou de défaut originel. Elle va donc désirer ce qui lui manque, le phallus.

Cette constatation engendre du ressentiment : elle accuse la mère de cette perte et se tourne vers le père comme détenteur du phallus. Cela alimente le désir d’avoir un pénis, désir qui peut être déplacé vers celui d’un enfant (souvent du père), puis vers le désir du phallus symbolique.

La résolution du complexe se fait par renoncement à la revendication phallique directe et par l’investissement d’objectifs symboliques.

Le complexe de castration chez Lacan

Lacan reprend et complexifie le concept freudien en l’intégrant dans sa propre théorie du symbolique, du langage et du désir. Chez lui, la castration n’est pas une menace physique, mais une opération symbolique.

Le phallus n’est pas un organe, c’est un signifiant du désir.

Il représente ce que l’Autre désire.
L’enfant cherche à être ce phallus pour la mère, à combler son manque.

La castration symbolique intervient lorsque le sujet comprend qu’il ne peut pas être le phallus de la mère, qu’il y a un désir qui lui échappe. C’est à ce moment-là qu’il accepte l’ordre symbolique représenté par le Nom-du-Père.

Autrement dit, la castration permet l’accès au langage, à la loi, à la séparation d’avec la mère. Elle est fondatrice du sujet, non pathologique.

Ce renoncement structure l’entrée dans l’intersubjectivité et dans l’ordre du désir. Refuser la castration symbolique, c’est rester dans l’illusion d’une complétude, d’un tout possible — illusion que l’on retrouve dans certaines pathologies graves.

Manfestations cliniques et traces du complexe de castration

Manifestations cliniques et traces du complexe

Le complexe de castration, même résolu, laisse des traces dans la vie psychique. Lorsqu’il n’a pas pu s’élaborer correctement, il peut être à l’origine de symptômes divers.

Exemples de manifestations

Phobies : souvent liées à des figures de castration (chien, cheval, personnages menaçants).

Inhibitions : impossibilité d’agir, de parler, de créer — comme si tout élan risquait une “punition”.

Troubles de l’identité sexuelle ou du désir.

Hypercompensation phallique : surinvestissement du pouvoir, de la réussite, du savoir.

Culpabilité diffuse, liée à un désir jugé interdit ou menaçant.

Illustration clinique

Prenons le cas d’un patient, adulte, ayant une forte inhibition dans sa vie professionnelle, malgré un potentiel évident. Il évite les postes à responsabilité, se sent illégitime, et redoute de “prendre trop de place”. L’analyse révèle un fantasme latent : réussir = prendre la place du père = menace de castration. Le symptôme est une solution inconsciente au conflit œdipien non résolu.

Le travail analytique autour de la castration

Le complexe de castration revient dans le transfert. Le patient projette ses conflits œdipiens sur l’analyste : il peut le percevoir tour à tour comme détenteur du savoir (père) ou comme objet de désir (mère), selon sa position psychique.

Le travail analytique vise à :

Mettre au jour les fantasmes inconscients liés à la castration.

Lever les défenses (refoulement, déni, formation réactionnelle).

Élaborer la perte comme condition de l’autonomie et du désir propre.

Dés-idéaliser le phallus : il ne s’agit pas d’un objet à posséder, mais d’un manque structurant.

L’analyste, en tant que figure de l’Autre, doit tenir une position éthique : ne pas se présenter comme tout-sachant ou comme figure réparatrice, mais soutenir le sujet dans l’élaboration de son propre désir.

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Le complexe de castration n’est pas un reliquat d’une psychanalyse archaïque. Il est un moment fondamental de la structuration du psychisme, lié à la différence des sexes, au désir, au langage et à la loi. Loin d’être une pathologie, il est une passerelle entre l’enfant tout-puissant et le sujet désirant, séparé mais parlant.

Comprendre ce complexe, c’est mieux lire les symptômes, mais aussi mieux entendre ce que chacun vit face à la perte, au manque, à la séparation. En cela, il reste une boussole précieuse pour le clinicien… et pour toute personne désireuse d’explorer la logique de l’inconscient.

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