Pourquoi désirons-nous ? Qu’est-ce qui pousse l’être humain à agir, à créer, à aimer, à détruire ? Depuis Sigmund Freud, la psychanalyse tente de répondre à ces questions en s’appuyant sur le concept central de pulsion (Trieb en allemand). Contrairement à l’instinct, qui est proprement biologique et programmé, la pulsion est une force psychique qui ne trouve pas d’objet naturel prédéfini et qui, pour s’exprimer, doit passer par le langage, la culture et les formations de l’inconscient.

La notion de pulsion est fondamentale pour comprendre la dynamique psychique : elle est à l’origine des conflits internes, des symptômes névrotiques, mais aussi des sublimations créatrices. Freud a élaboré les premières théories sur la pulsion, tandis que Jacques Lacan les a retravaillées en les inscrivant dans une structure langagière et en insistant sur le rapport au manque et à la jouissance.

Cet article explore en profondeur la théorie des pulsions en psychanalyse, en mettant en lumière leur fonctionnement, leurs transformations et leurs implications cliniques.

Définition et origine du concept

Le terme pulsion provient du latin pulsio, qui signifie « action de pousser ». Il désigne une force interne qui nous anime, un mouvement irrépressible cherchant à s’actualiser.

C’est Freud qui, à la fin du XIXe siècle, élabore ce concept pour désigner une excitation interne d’origine biologique. Cependant, contrairement à un simple besoin physiologique, la pulsion ne trouve pas sa satisfaction de manière évidente. La pulsion se distingue de l’instinct :

  • L’instinct est fixe, propre à une espèce et suit un schéma d’action programmé.
  • La pulsion, en revanche, est malléable, peut investir divers objets et être transformée.

Freud place ainsi la pulsion au carrefour du somatique et du psychique, ce qui en fait une notion clé pour comprendre les manifestations de l’inconscient et du symptôme.

Lacan, quant à lui, revisite cette définition en insistant sur le caractère circulaire de la pulsion et son lien avec le langage et le manque. Là où Freud considère la pulsion comme une énergie à décharger, Lacan y voit un circuit répétitif structuré autour d’un objet toujours manquant.

Les caractéristiques fondamentales de la pulsion

Freud définit la pulsion à travers quatre caractéristiques essentielles :

  1. La source : l’excitation qui provient du corps (par exemple, une tension interne).
  2. La poussée : la force motrice de la pulsion, son aspect dynamique et incessant.
  3. Le but : la satisfaction de la pulsion, qui vise à réduire la tension interne.
  4. L’objet : ce par quoi la pulsion trouve sa satisfaction (un objet, une personne, une action), bien qu’il puisse être interchangeable.

Lacan reprend cette structure, mais il souligne que l’objet de la pulsion n’est jamais pleinement atteint. Il introduit la notion d’objet petit a, c’est-à-dire l’objet cause du désir, qui est fondamentalement perdu et autour duquel la pulsion tourne indéfiniment.

Ainsi, pour Lacan, la pulsion ne vise pas tant à atteindre un objet précis qu’à répéter un mouvement autour de ce manque, ce qui explique son caractère insatiable et compulsif.

Pulsion de vie pulsion de mort

Les grandes classifications des pulsions

Pulsion de vie et pulsion de mort

En 1920, dans Au-delà du principe de plaisir, Freud introduit une nouvelle dualité :

  • La pulsion de vie (Éros) : elle regroupe toutes les forces qui visent la conservation de la vie, la liaison, le plaisir et la croissance (exemple : sexualité, créativité, socialisation).
  • La pulsion de mort (Thanatos) : elle représente, au contraire, une tendance à la déliaison, à l’autodestruction et à la répétition compulsive d’expériences douloureuses.

Cette dernière est particulièrement visible dans les comportements autodestructeurs, les névroses traumatiques, et trouve son expression ultime dans la guerre ou le sadisme.

Lacan reprend cette opposition, mais il la reformule en termes de jouissance. Pour lui, la pulsion ne cherche pas uniquement le plaisir, mais aussi une jouissance qui peut être excessive, voire destructrice. Ainsi, certaines répétitions symptomatiques, comme l’addiction ou le masochisme, témoignent d’une jouissance paradoxale dans la souffrance, au-delà du principe de plaisir freudien.

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Lacan insiste sur le rapport des pulsions au signifiant et à l’Autre.

  • La pulsion orale (ex. : sucer, absorber) est liée à la demande et à la dépendance à l’Autre.
  • La pulsion anale (ex. : retenir, expulser) est liée à la maîtrise et au don.
  • La pulsion scopique (regarder/être regardé) et la pulsion invocante (écouter/être entendu) sont liées au champ du désir et à l’objet manquant.

Chacune de ces pulsions illustre comment le sujet est pris dans un circuit qui met en jeu son rapport à l’Autre et à la jouissance.

Les pulsions sexuelles et les pulsions du moi

Avant 1920, Freud opposait plutôt :

  • Les pulsions sexuelles, orientées vers la recherche du plaisir et l’investissement d’objets extérieurs.
  • Les pulsions du moi, centrées sur la protection et la survie de l’individu.

Bien que cette distinction ait été dépassée par celle d’Éros et de Thanatos, elle reste utile pour comprendre certaines pathologies où l’individu investit excessivement son propre moi au détriment du lien aux autres (par exemple, dans la mélancolie).

Le destin des pulsions : entre refoulement et sublimation

Les pulsions ne peuvent pas toujours s’exprimer librement dans la réalité. Face aux interdits sociaux et moraux, elles suivent divers destins psychiques :

  1. Le refoulement
    • La pulsion, jugée inacceptable par le Surmoi, est rejetée dans l’inconscient.
    • Elle réapparaît sous forme de symptômes, de lapsus ou de rêves.
  2. La sublimation
    • La pulsion est dérivée vers un but culturellement valorisé.
    • Exemple : un écrivain transforme ses désirs inconscients en œuvres littéraires.

Pour Lacan, la pulsion ne disparaît jamais complètement. Même lorsqu’elle est sublimée ou refoulée, elle continue de fonctionner comme un montage répétitif qui tourne autour d’un manque.

Pulsions et addictions

Enjeux cliniques et contemporains

La pulsion dans les troubles psychiques

Les déséquilibres pulsionnels se retrouvent dans de nombreuses pathologies :

  • Dans la névrose, la pulsion est refoulée et ressurgit sous forme de symptômes (phobies, obsessions, hystérie).
  • Dans la psychose, la pulsion n’est pas intégrée par le sujet, ce qui mène à des délires ou des angoisses massives.
  • Dans la perversion, la pulsion trouve un chemin direct de satisfaction, mais en contournant les lois symboliques (fétichisme, voyeurisme, sadisme).

Lacan ajoute que la pulsion est toujours liée à un montage langagier. Ainsi, le symptôme névrotique peut être vu comme une tentative de donner un sens à une pulsion qui, autrement, resterait brute et ingérable.

La pulsion dans le monde moderne

Aujourd’hui, nous assistons à de nouveaux visages du malaise pulsionnel :

  • Les addictions (drogues, jeux, pornographie) comme expression d’une jouissance illimitée.
  • La montée des troubles narcissiques, où le rapport à l’autre est marqué par la consommation plutôt que par l’échange symbolique.
  • La violence sociale et individuelle, signe d’un retour brutal du pulsionnel.

Lacan dirait que nous vivons dans une époque où la pulsion n’est plus aussi réprimée par le Symbolique, mais où elle prolifère sous des formes qui échappent au contrôle du sujet.


La pulsion est un concept central en psychanalyse, permettant de comprendre aussi bien le fonctionnement normal du psychisme que ses troubles. Freud nous a montré qu’elle est à la source du désir, mais aussi du conflit psychique. Lacan, en la réinterprétant, nous aide à comprendre pourquoi nous sommes enfermés dans des répétitions symptomatiques, et pourquoi la jouissance excède souvent le simple plaisir.

À l’ère du numérique et de l’instantanéité, cette réflexion reste plus actuelle que jamais.

Et vous, comment percevez-vous le rôle des pulsions dans votre propre vie ?

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